“La Genève internationale est-elle adaptée au monde d’aujourd’hui? Au vu de la radicalité des transformations numériques, l’écosystème genevois ne peut compter que sur des prétendus acquis. C’est dans ce sens que fut créé en 2018 le Geneva Science and Diplomacy Anticipator. C’est aussi dans ce sens que la Confédération a créé le poste de représentant spécial pour la diplomatie scientifique. Ce nouveau poste est occupé depuis peu par Alexandre Fasel, qui vient d’achever un mandat de quatre ans comme ambassadeur de Suisse à Londres. Il livre [au journal Le Temps] ses réflexions sur les efforts menés pour maintenir Genève à jour”, explique le journaliste Stéphane Bussard, responsable des activités liées à la Genève internationale.
Stéphane Bussard: “Alexandre Fasel, on vous a confié récemment le poste de représentant spécial de la Suisse pour la diplomatie scientifique au sein de la Genève internationale. En quoi consiste-t-il?
Alexandre Fasel: Dans les affaires internationales, il y a des effets de mode. Certains sont éphémères, mais d’autres traduisent parfois des tendances lourdes qui restent. Ce fut le cas avec les Objectifs du millénaire (ODM) et c’est le cas avec les Objectifs de développement durable (ODD). Ces derniers ont acquis une fonction quasi constitutionnelle pour la communauté internationale qui voit en eux une ligne directrice claire. Je pense que la diplomatie scientifique est l’un de ces phénomènes. C’est une tendance lourde. En tant qu’Etat membre de l’ONU et Etat hôte, qui héberge donc sur son sol des organisations internationales, nous devons y répondre, car l’influence des sciences et de la technologie sur le monde, sur la gouvernance globale et sur un site comme la Genève internationale est une évidence. Mon rôle est celui d’un facilitateur, d’un catalyseur de l’action de la Confédération en matière de diplomatie scientifique. Mon objectif premier est d’accompagner l’éclosion de Gesda (Geneva Science and Diplomacy Anticipator), de le mettre en réseau avec le Département fédéral des affaires étrangères, les missions diplomatiques, les offices fédéraux, les universités et la société civile.
En quoi la diplomatie scientifique est-elle différente de la diplomatie traditionnelle?
La diplomatie est toujours en relation avec des intérêts concrets et des moyens pour les promouvoir. La science a toujours été à l’agenda de la diplomatie. Ce n’est pas nouveau. Mais à partir de 2010, un article de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) et de la Royal Society a marqué les esprits. Il divisait la diplomatie scientifique en trois catégories: la diplomatie pour la science, la science pour la diplomatie et la science dans la diplomatie. Pour la première, la diplomatie doit s’activer sur le plan international pour que la science puisse prospérer au-delà des frontières. Le CERN est un bon exemple. Il fallait une convention internationale, des infrastructures, rassembler des Etats. Le projet scientifique du Transnational Red Sea Center visant à sauver les récifs coralliens de la mer Rouge entre tout à fait dans ce cadre. Nous devrons activer la diplomatie suisse pour rassembler les Etats riverains et les intéresser au projet. Quand on parle de science pour la diplomatie. Je pense notamment au CERN. Au cœur de la guerre froide, les contacts entre le bloc soviétique et le CERN ne se sont jamais interrompus. Le canal scientifique a au contraire permis des activités politiques et diplomatiques à part entière. Une fois que le projet sur la mer Rouge sera pleinement opérationnel, une bonne coopération scientifique va contribuer à un resserrement des liens entre ces Etats. C’est là qu’on pourra agir. La science dans la diplomatie est enfin un cas de figure où la science devient un instrument de la diplomatie au même titre que la négociation, le désarmement, etc. On se sert de la science pour mieux comprendre les défis à venir. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est un bon exemple: les diplomates s’en servent pour mener des négociations sur les questions climatiques, en basant la prise de décision sur des données scientifiques.“
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Image: ©David Wagnières, pour Le Temps